mardi 4 février 2014

Référentiel du secours aux personnes : pas de miracle ni d’améliorations entre pompiers et Samu

Clarifier les missions et res­ponsabilités respectives des « blancs » et des « rouges », tel est le principal objectif du référentiel portant sur l’organisation du secours aux personnes et de l’aide médicale urgente élaboré en 2008 (1) par un comité quadripartite.
 
Celui-ci était composé des ministères de tutelle (Santé et Intérieur) et des représentants du Samu et des sapeurs-pompiers. Cinq ans après, quel bilan tirer de ce guide de bonnes pratiques ?
 
Des conventions dans les limbes  - Le 2 juillet dernier, le comité national de suivi du référentiel se réunissait au ministère de l’Intérieur. « Il n’avait pas eu de réunion depuis quinze mois, alors que deux par an étaient prévues, dé­plore le docteur Patrick Hertgen, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), chargé du service de santé et de secours médical. C’est un signe révélateur du fait que cet accord n’est pas appliqué ! »
 
Ce n’est pas le seul : une évaluation de la réforme était programmée pour juin 2012. Elle vient seulement d’être confiée aux inspections générales de l’administration et des affaires sociales.
Le référentiel prévoit des mesures fortes pour optimiser la prise en charge des victimes et organiser la complé­mentarité des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) et du Samu. Des mesures que les protago­nistes s’engagent à mettre en oeuvre lors de la signature d’une convention bipartite, sous l’autorité du préfet. Un tel accord se fait toujours attendre dans 22 départements. A ce jour, 75 conven­tions sont en vigueur.
 
Impact positif - Elles ont eu un impact très positif, notamment sur la rapidité de la réponse apportée à la victime, une priorité du référentiel. Celui-ci fixe un déclenchement immé­diat des moyens du Sdis en cas d’ur­gence vitale, même supposée. L’avis du Samu est sollicité ensuite.
 
« Cette organisation fonctionne plutôt bien, estime François Braun, chef du Samu de Verdun [18 500 hab., Meuse] et secrétaire général de Samu – urgences de France. Même s’il est fréquent que les motifs des interventions réalisées par les pompiers ne relèvent pas de l’urgence vitale telle que précisée dans l’annexe 1 du référentiel. »
Perte de temps - Toutefois, d’importantes marges de progrès subsistent sur d’autres points. Le document préconise une interopé­rabilité des systèmes d’information entre le centre de traitement des alertes des pompiers (le 18) et le centre de ré­ception et régulation des appels du Samu (centre 15).
Souvent « la trans­mission des données entre les ser­vices se fait encore oralement, constate Patrick Hertgen. Le nom et l’adresse sont dictés au téléphone, et l’appelant est obligé de se répéter ». Cela consti­tue une perte de temps considérable.
« La volonté de communiquer est là, assure François Braun. Mais elle se heurte aux contraintes techniques.
 
20 Plateformes communes -
 
Les logiciels de traitement de l’appel sont incompatibles. » Une réflexion est engagée sous l’égide de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip) sur la modernisation des SI et télécoms des Samu-centres 15, depuis janvier 2013. Les Sdis y sont associés.
 
Le déploiement d’Antarès, réseau de radiocommunications nu­mériques dédié aux services d’ur­gence, plus performant et fiable que les lignes téléphoniques, devait fluidi­fier les échanges. 73 Sdis sont opéra­tionnels sur ce réseau, selon la sécurité civile, et 58 Samu.
 
« Dans 15 départe­ments, Samu et Sdis ont créé un centre d’appel commun 15-18-112 et sont ins­tallés dans les mêmes locaux, révèle le colonel Pascal Farron, chef du bureau“organisation” à la sous-direction des services d’incendie et des acteurs du secours de la sécurité civile. Dans 5 autres départements, ce centre com­mun est virtuel et repose sur l’inter­connexion des systèmes d’information et radio. »

Ce qui fait 20 plateformes communes au total, soit seulement 5 de plus qu’en 2008 !
 
Qualité du service rendu - Il était aussi prévu que des conven­tions fixent les modalités de finance­ment des missions réalisées par les pompiers et ne relevant pas du « dé­part réflexe » (2). « 75 ont été signées, poursuit Pascal Farron. Dans certains départements, la situation est bloquée. Deux points de désaccord sont récur­rents : l’action opérationnelle des infir­miers de sapeurs-pompiers et la qualifi­cation des interventions réalisées pour carence des ambulanciers privés. »
 
En­fin, il était acté que la qualité du service rendu aux usagers soit évaluée sur des critères objectifs, tels que le temps mis par les centres d’appels pour décrocher. Si cette évaluation n’existe pas au ni­veau national, certains acteurs s’y sont mis, comme l’Isère, depuis 2008. Chaque année, le Sdis et le Samu éla­borent un bilan commun, qu’ils en­voient au préfet et à l’agence régionale de santé. Par ailleurs, ils répondent ensemble aux réclamations des usa­gers qui concernent les deux services.

Tensions autour des infirmiers de sapeurs-pompiers

Les Sdis comptent 6 111 infirmiers de sapeurs-pompiers. En 2012, ceux-ci ont participé à 150 000 interventions et ont mis en oeuvre 40 000 protocoles de soins. Leur rôle dans la chaîne des secours, reconnu par le référentiel, constitue toujours le principal point de crispation entre les acteurs.
 
Offre mais pas de demande - « Les Samu redoutent que le recours croissant à la paramédicalisation des interventions n’entraîne, mécaniquement, une baisse de leur médicalisation, regrette Patrick Hertgen, vice-président de la FNSPF. Du coup, par endroits, le 15 n’y a pas recours alors que l’offre existe ».
 
Et François Braun, chef du Samu de Verdun (Meuse), de justifier la position des Samu : « Ce qui relève de la santé et du soin ne doit pas être à la charge des départements, mais des agences régionales de santé, martèle-t-il. C’est à ces institutions de juger de l’utilité de déployer des infirmiers sur tel ou tel territoire. »

Témoignages

« L’évaluation prévue n’existe pas »

Eric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France

« Que l’appel arrive au 15 ou au 18, en cas de doute, les pompiers interviennent. Cela améliore le service rendu aux victimes et traduit une réelle coopération entre ser­vices. Toutefois, le référentiel reste ina­chevé. Les dispositifs d’évaluation qu’il prévoyait n’existent pas. Le problème du financement des missions qui ne relèvent pas du prompt secours n’est pas réglé. Enfin, le secteur de la santé travaille de manière unilatérale sur l’engagement pré­sidentiel d’un délai maximal de trente mi­nutes entre chaque Français et les soins d’urgence. Les sapeurs-pompiers ont par­fois l’impression d’être des supplétifs et non des acteurs du dispositif. »

« Cet accord était mal parti d’emblée »

Claudy Lebreton, président de l’Assemblée des départements de France

« Les élus n’étaient pas représentés lors de l’élaboration du référentiel, bien qu’ils dirigent les Sdis. Ceci explique en partie l’insuccès de l’accord, qui n’a pas clari­fié les responsabilités de chacun. Il reste notamment une zone de flou entre le prompt secours et l’aide médicale urgente qui coûte cher aux départements : nous payons lorsque les pompiers sortent à la place du Samu. Le bilan prévu pour 2012 n’a pas été réalisé. Le secours à personne sera évalué dans le cadre de la moder­nisation de l’action publique. Un groupe de travail sera mis en place par le minis­tère de l’Intérieur, associant les départe­ments, afin de clarifier les compétences. »

« Des pratiques mettent les patients en danger »

Marc Giroud, président de Samu rgences de France

« Nous avons le sentiment d’avoir été trompés ! Il n’est pas normal que les Sdis continuent à recruter des professionnels de santé – surtout des infirmiers – pour, se justifient-ils, pallier les carences de l’offre de soins. D’autant que cette pra­tique pose des problèmes : elle est suscep­tible de retarder la médicalisation par les Smur et de mettre en danger la vie des patients lorsque certains protocoles de soins sont mis en oeuvre, et désorganise les services d’urgence où nombre de ces infirmiers travaillent. Le référentiel pré­voyait une convention-cadre déclinée au niveau local entre le Sdis et les hôpitaux du département : celle-ci n’existe pas. »
 

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