mercredi 29 janvier 2014

SAMU : les limites d'un système.

En novembre, Simone, 86 ans, appelle le 15 qui lui conseille d’attendre de voir son médecin. En dépit d’un nouvel appel de sa fille pointant l’urgence, aucun secours ne sera diligenté. La famille ne comprend pas cette décision.
C’était le samedi 16 novembre dernier en début d’après-midi à Cuzorn. Simone, 86 ans, appelle le centre 15, pour se plaindre d’être fatiguée et d’ulcères aux jambes. À l’autre bout du fil et après discussion avec l’octogénaire, le médecin généraliste de garde de la permanence de soin estime que la situation décrite par Simone n’est pas urgente. Il lui conseille donc d’attendre le lundi matin pour consulter son médecin traitant, absent le samedi. Simone raccroche.
 
Trois-quarts d’heures plus tard, comme presque tous les jours, sa fille, Dominique, 55 ans, vient voir ses parents qui vivent seuls. «Maman était d’une génération où on n’allait pas voir le médecin. Elle ne voulait jamais qu’on l’aide. Elle tenait à son autonomie et avait beaucoup de caractère. Mais depuis quelque temps, elle avait de gros problèmes de santé : cardiaques mais aussi pulmonaires. Elle avait des ulcères aux jambes et se sentait fatiguée depuis plusieurs semaines déjà. C’est ce qu’elle a dit au médecin du 15.»
 
Lorsque Dominique arrive peu avant 15 heures ce samedi-là, elle trouve sa maman certes fatiguée, mais également gênée pour respirer : «Avant l’été, elle avait fait un épanchement pleural et été hospitalisée à Cahors. J’ai rappelé le 15 et on m’a repassé le même médecin que ma mère avait eu trois-quarts d’heure plus tôt. Je lui ai expliqué qu’elle avait les jambes enflées, des problèmes de cœur, eu un œdème pulmonaire et qu’elle n’était vraiment pas bien. Il s’en est tenu à sa fiche m’expliquant qu’effectivement il avait déjà eu ma mère en ligne mais qu’il n’y avait pas besoin d’une hospitalisation, que lundi ma mère verrait son médecin. Je lui ai répondu que lundi, il serait trop tard…»
Désemparée Dominique ne peut compter sur son père, âgé lui aussi de 86 ans : «Pendant ce temps ma mère ne bougeait pas, assise dans le canapé, elle avait du mal à respirer. J’ai alors appelé ma belle-sœur et nous avons amené ma mère aux urgences de l’hôpital de Villeneuve. Là, quand les urgentistes nous ont vues ils sont venus tout de suite nous aider et ont rapidement placé ma mère sous oxygène et l’ont prise en charge rapidement. Ils nous ont dit qu’on avait très bien fait de l’amener : à la radio, ils ont décelé un nouvel épanchement pleural…» Pneumologie, cardiologie, soins intensifs, Simone passe de service en service, fait des complications et finit par décéder le 28 novembre.

«Non-assistance à personne en danger»

«Depuis le début, je suis en colère, révoltée contre le système», explique Dominique. «Je me suis trouvée démunie. Je pensais qu’on allait envoyer le médecin de garde au domicile de ma mère.» Dominique et sa famille ne pensent pas que l’absence d’intervention a entraîné le décès de Simone : «Elle était en mauvaise santé, elle avait 86 ans, elle serait sans doute décédée même si le Samu ou les pompiers étaient venus. Ce que je n’accepte pas c’est le sentiment, deux mois après, de ne pas avoir été écoutée et entendue. Je ne comprends pas qu’on nous a laissés seuls. Si je n’étais pas venue cet après-midi-là, j’aurais peut-être trouvé ma mère morte. Pour moi il y a non-assistance à personne en danger.»
 
L’incompréhension est d’autant plus grande que le sentiment d’urgence ressenti à l’arrivée chez Simone a été, pour la famille, en quelque sorte validé par l’hospitalisation à Villeneuve quelques heures plus tard.
 
Pour l’heure, les enfants de Simone n’ont pas l’intention de poursuivre sur le terrain judiciaire. Ils ont toutefois fait part de leur mécontentement à la direction du Samu 47 qui, comme l’exige la procédure, a diligenté une enquête, procédé à l’écoute des appels enregistrés et reçu la famille. Mais Dominique, son mari Bernard et sa belle-sœur Marie-Claude ne comprennent toujours pas pourquoi, ce samedi-là, personne n’est venu leur porter secours comme ils le demandaient…

«En cas de doute, allez aux urgences»

Frais et dispo en dépit des 24 heures de garde aux urgences de l’hôpital d’Agen qu’il vient d’enchaîner, le Dr Pascal Le Bléïs, médecin responsable du Samu 47, explique posément son fonctionnement. «Depuis 2001, nous disposons d’une plate-forme téléphonique commune avec les pompiers, basée au sein du service d’incendie et de secours (SDIS 47), à Foulayronnes.» Quand un appel est passé vers le 18 ou 15, ou le 112, il arrive donc sur ce plateau commun où les équipes du 18, sapeurs-pompiers et du 15, assistant régulateurs médicaux (ARM)- ils sont 14- se font face, chacun installés face à des écrans permettant de traiter les appels et les diriger, le cas échéant, vers le médecin régulateur de garde. «À partir de 20 heures et jusqu’à minuit, ainsi que le samedi et le dimanche en journée, des médecins généralistes libéraux prennent également en charge la permanence des soins (PDS). Eux traitent ce qui ne relève pas de l’urgence.»
 
Un système mis en place en 2009 et qui a contribué à faire exploser le nombre d’appels convergeant vers la plate-forme commune et notamment vers le 15 : «En 2001, au moment de la création du centre d’appels, le 15 traitait environ 17 000 appels par an. Aujourd’hui la plate-forme en reçoit 230 000 dont 160 000 pour le centre 15 uniquement.» La baisse du nombre de médecins généralistes en Lot-et-Garonne, le vieillissement de la population départementale, le caractère rural du territoire et, surtout, l’institutionnalisation du «15» comme coup de fil réflexe ou toute question médicale, allant de l’ongle incarné à la jambe sectionnée, sont autant de facteurs expliquant cette explosion du nombre d’appels. «Face à ça, il y a évidemment une incompréhension du grand public qui a été habitué à avoir un service de santé à sa disposition. Il n’y a pas si longtemps, le médecin de famille intervenait nuit et jour, on le joignait même à son domicile. Aujourd’hui c’est fini, alors on appelle le 15.»
 
Les 160 000 appels annuels reçus au 15 génèrent 2 500 à 2 800 interventions des 5 véhicules SMUR (Service mobile d’urgence et de réanimation) basés à Marmande, Nérac, Villeneuve et Agen (deux SMUR) : «Avec 5 équipes pour 330 000 habitants, on ne se déplace que pour les cas les plus urgents. Car un médecin de garde pour le SMUR est en même temps de garde aux urgences de son hôpital. Pour bien faire, il faudrait multiplier le nombre de médecins par trois : la tendance actuelle ne va pas vraiment dans ce sens…»
 
Le Dr Le Bléïs dit comprendre l’incompréhension du grand public : «La limite du système, c’est qu’en l’absence de médecine de proximité, lorsqu’un appel nous arrive, nos yeux sont les dires des personnes qui nous appellent. Il y a l’urgence ressentie par l’interlocuteur, augmentée par le stress, la proximité avec la victime ou le patient. Et puis il y a l’urgence réelle : un doigt retourné sur un terrain de rugby le dimanche n’est pas une urgence vitale. Ça fait très mal, on est d’accord. Mais le patient peut très bien être amené aux urgences par un particulier. Car si on mobilise un SMUR pour ça, si quelqu’un fait un arrêt cardiaque peu après, on ne peut aller le secourir. Et on refuse de prendre ce risque-là. En cas de doute, il faut emmener la personne aux urgences. Dans le cas que vous citez (lire ci-dessus), la famille a très bien fait.»

Affaire classée

Du côté de l’hôpital d’Agen qui chapeaute le Samlu 47 , l’affaire est classée: «Après enquête, au vu des renseignements fournis par téléphone au médecin de garde, il n’y avait pas d’urgence vitale décelable justifiant l’envoi immédiat d’une équipe de secours», explique Mathieu Labat, directeur de la communication.. Mais si la famille veut lever ses doutes, elle peut saisir la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) ou porter plainte devant le tribunal administratif. Dans les deux cas une expertise médicale sera ordonnée qui levra les doutes sur un lien possible entre le décès de la patiente et la décision du médecin de garde.»
 

1 commentaire:

  1. Cet article décrit bien les failles de notre système. Même si effectivement tous ont leurs limites, pourquoi alors s'acharner à le maintenir ? Loin de toute visions partisanes, et à l'image de la commission sur la PDS, l'organisation que nous connaissons aujourd'hui montre des signes de faiblesses. Pire, la conjoncture économique et la projection de la pénurie médical, laisse des communes (voire même des départements), loin de tout recours en terme de secours médicaux (les fameux déserts médicaux ou zones blanches). Ajoutons à cela l'engagement présidentiel de l'accès aux soins urgents en moins de 30 mn et l'explosion des appels au Centre 15/18/112, et nous ne pouvons que constater alors, que ce que nous connaissons aujourd'hui, n'est plus approprié.

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