mercredi 6 novembre 2013

Prise en charge pré-hospitalière de l'infarctus : des résultats positifs de l'étude Euromax

San Francisco, Etats-Unis - L'essai EUROMAX rapporte des résultats globalement satisfaisants sur l'emploi de la bivalirudine (Angiox®, The Medicines Company) en urgence immédiate d'un syndrome coronaire aigu avec sus-décalage ST, comparativement à l'héparine non fractionnée, selon les résultats présentés lors du congrès Transcatheter Cardiovascular Therapeutics (TCT) et publiés dans le New England Journal of Medicine [1].
 
Les bénéfices de la bivalirudine dans le syndrome coronaire aigu avec sus-décalage ST (SCA ST+) ont été mis en évidence dans l'étude HORIZONS-AMI parue en 2008. La bivalirudine y était associée à une baisse du risque de saignements majeurs et de décès à 30 jours, comparativement à l'héparine non fractionnée associée aux anti-GpIIb/IIIa.
 
Depuis cet essai, le contexte des angioplasties des SCA ST+ a changé : l'anticoagulation intraveineuse est mise en route en pré-hospitalier ; le cathéterisme et l'angioplastie par voie radiale se sont diffusés ; enfin, le recours aux nouveaux inhibiteurs de la P2Y12 - le prasugrel et le ticagrelor- a augmenté, tandis que l'utilisation des anti-GpIIb/IIIa a diminué.
 
Le Pr Gabriel Steg (Hôpital Bichat, Paris) et ses collègues ont donc voulu évaluer les bénéfices de la bivalirudine dans la pratique actuelle. L'essai EUROMAX a ainsi comparé, de manière randomisée mais en ouvert, les effets de la bivalirudine administrée par les urgentistes avant angioplastie, comparativement à l'héparine non fractionnée ou à l'enoxaparine - avec recours optionnel aux anti-GpIIb/IIIa. Le résultat tient en trois constats : moins de saignements, plus de thromboses de stent, pas d'effet sur la mortalité.

Un essai positif : les critères composites sont atteints
La population analysée en intention de traiter était de 1089 patients dans le groupe bivalirudine, et de 1109 patients dans le groupe contrôle. En pratique, les sujets du groupe contrôle ont été essentiellement traités par héparine non fractionnée (dose médiane de 61 UI/kg), et ont été plus nombreux à recevoir un anti-GpIIb/IIIa que les sujets du groupe bivalirudine (69,1% contre 11,5%).
Le critère primaire, un composite associant les décès toutes causes et les saignements majeurs non liés à un pontage à 30 jours, est survenu chez 5,1% des patients du groupe bivalirudine et chez 8,5% des patients du groupe contrôle (RR=0,60 ; IC 95% [0,43-0,82] ; p = 0,001).
La différence entre les groupes était identique que les patients aient reçu ou non des anti-GpIIb/IIIa.
 
Le critère secondaire, un composite associant cette fois les décès toutes causes, les réinfarctus, et les saignements majeurs non liés à un pontage à 30 jours, est survenu chez 6,6% du groupe bivalirudine et 9,2% du groupe contrôle (RR=0,72 ; [0,54-0,96] ; p = 0,02).

Dr Patrick GoldsteinLe Dr Patrick Goldstein (CHRU de Lille), interrogé par heartwire, estime les résultats globalement satisfaisants puisque les critères principaux ont été atteints. Il se félicite surtout qu'un tel essai ait pu aboutir. « Cela montre qu'une recherche clinique de haut niveau dans le cadre de l'urgence instantanée, est applicable. C'est essentiel car on ne peut pas extrapoler au contexte de l'urgence instantanée des résultats obtenus en cardiologie hospitalière », souligne-t-il.


Principal atout : un moindre risque de saignements
Dans EUROMAX, le principal atout de la bivalirudine est de diminuer le risque de saignement. Les différences d'incidence des deux critères composites sont en effet liées à une réduction du risque hémorragique. Contrairement à l'essai HORIZONS-AMI, EUROMAX ne montre pas de bénéfice de la bivalirudine sur le taux de décès, d'origine cardiaque ou non. A 30 jours, il n'est pas différent entre les groupes (2,9% contre 3,1%).
Les auteurs précisent que les données de mortalité à un an sont actuellement collectées.
S'agissant des saignements, le risque associé à la bivalirudine est significativement plus faible :
  • pour le taux de saignements majeurs non liés au pontage tels qu'ils sont définis dans l'étude (2,6% contre 6%; RR=0,43; [0,28 -0,66] ; p<0,001) ;
  • pour l'ensemble des saignements, mineurs ou majeurs selon la définition TIMI (7,8% contre 13,2% ; RR=0,59 ; [0,46-0,76] ; p< 0,001) ;
  • pour l'ensemble des saignements selon la définition GUSTO (7,8% contre 13,3% ; RR=0,58 ; [0,45-0,75] ; p<0,001).
Les auteurs soulignent que la diminution du risque de saignement s'observe quelle que soit la voie d'abord utilisée, quel que soit l'inhibiteur de la P2Y12 administré et dans le cadre d'un recours optionnel aux anti-GpIIb/IIIa.
 
Il reste que les saignements majeurs TIMI ou GUSTO ne ressortent pas significativement.
Et c'est bien ce qui semble chiffonner le Pr Shamir Mehta (McMaster University, Hamilton, Canada), qui reproche aux auteurs, dans un éditorial accompagnant l'article, de ne pas avoir retenu dans le critère primaire et secondaire les saignements les plus sévères des définitions TIMI et GUSTO [2].
 
L'éditorial souligne en effet que « les saignements sévères sont plus importants pour le pronostic que les saignements moins sévères, qui n'ont peu ou pas d'importance à long terme ». Or, la différence des taux de saignements majeurs selon la définition TIMI (1,3% contre 2,1% ; RR=0,62 ; [0,32-1,20] ; p= 0,15) et des saignements sévères ou mettant en jeu le pronostic vital selon la définition GUSTO (0,6% contre 0,9% ; RR=0,61 ; [0,22-1,68] ; p=0,33) n'est pas significative.
Le Dr Goldstein estime cependant la critique exagérée dans la mesure où, en pratique, très peu de malades ont saigné et tous les scores de saignement ont bel et bien été analysés.

Seul point noir : le risque de thrombose de stent
« Le seul point noir, c'est le risque de thrombose de stent », souligne-t-il. Si ce risque est faible, il est plus élevé à 30 jours sous bivalirudine (1,6% contre 0,5% ; RR=2,89 ; [1,14-7,29] ; p=0,02).
La hausse du risque était significative dans les premières 24h, avec un temps moyen avant thrombose de 2,3h. Après 24h, le sur-risque perd sa significativité.
 
Ce sur-risque avait en fait déjà été observé dans l'essai HORIZONS-AMI. Mais on aurait pu s'attendre à ce qu'il n'apparaisse pas dans EUROMAX, le protocole de traitement ayant été précisément choisi pour le limiter.
 
L'essai prévoyait en effet l'administration d'un bolus de bivalirudine dosé à 0,75 mg/kg, puis d'une perfusion de 1,75 mg/kg/h qu'il était possible de poursuivre à la même dose ou à 0,25 mg/kg/h pendant au moins 4h après angioplastie alors que dans HORIZONS-AMI la bivalirudine était arrêtée après angioplastie. De plus les patients étaient tous sous aspirine et inhibiteur de la P2Y12 en même temps que sous bivalirudine.
 
« Cela suggère que ni l'injection prolongée à dose réduite de bivalirudine, ni le recours aux nouveaux inhibiteurs de la P2Y12 ne sont suffisants pour diminuer ce risque », commentent les auteurs. Une solution pourrait être de recourir à des antithrombotiques plus puissants et plus rapidement actifs, comme les antiplaquettaires intraveineux, suggèrent-ils.
 
« Il reste désormais à voir dans quel contexte les thromboses de stent apparaissent », estime le Dr Goldstein. Des sous-analyses sont en cours. « Il va falloir étudier quels types de stent sont impliqués, le régime de bivalirudine etc. Car la posologie de la perfusion de bivalirudine était peut-être un peu inférieure aux recommandations actuelles. De plus si le protocole prévoyait de poursuivre la bivalirudine après angioplastie, certains patients n'ont eu que le bolus [7% des patients, ndlr]. Il va falloir étudier les conséquences de ce mésusage, voir s'il y a un rapport direct entre l'absence de perfusion et la thrombose de stent ».
 
Aucune thrombose de stent n'a cependant été fatale. Après la thrombose de stent, 65,2% des patients ont fait une récidive, et 100% ont subi une revascularisation liée à l'ischémie.
Pour autant, le taux de réinfarctus (1,7% vs 0,9%) n'est pas significativement différent entre les groupes, même s'il apparaît plus élevé dans le groupe bivalirudine, à l'instar du taux de revascularisation.

Enthousiasme des uns, scepticisme des autres
Si l'Inserm et l'AP-HP se félicitent dans un communiqué commun d'un « nouveau traitement contre la crise cardiaque bientôt disponible pour les équipes d'urgentistes et de SAMU », l'auteur de l'éditorial est beaucoup plus critique.
 
Pour le Pr Mehta, « du point de vue de l'efficacité, la bivalirudine ne fait pas aussi bien que l'héparine non fractionnée avec recours optionnel aux anti-GpIIb/IIIa ».
Il met en avant le fait que la bivalirudine a «  augmenté le risque de thrombose de stent d'un facteur de plus de 6 pendant les premières 24h après angioplastie (p=0,007) avec une tendance associée à une hausse du taux de récidive d'infarctus du myocarde (p=0,08) ».
Et ce, malgré les mesures prises pour prévenir ce risque de thrombose, insiste-t-il, citant à son tour la poursuite du traitement 4h après angioplastie et le recours fréquent au prasugrel et au ticagrelor.
Surtout, il souligne d'une part que la thrombose de stent est associée à une forte morbidité, pratiquement tous les patients concernés ayant fait un événement ischémique, et d'autre part que l'efficacité de la bivalirudine sur la mortalité reste incertaine, l'étude EUROMAX « ne montrant pas même une tendance à la baisse ».
Ainsi, pour lui, la vraie question est de savoir si le moindre risque de saignements au cours de la procédure vaut le sur-risque de thrombose de stent aiguë.
La réponse évite d'ailleurs elle-même toute prise de risque : « cela dépend de l'incidence relative des saignements majeurs versus celle des thromboses de stent et de l'association entre ces événements et de la mortalité et morbidité consécutives. (…) Aussi, il est critique que les cliniciens pèsent l'importance relative de ces événements avant de sélectionner une stratégie anti-thrombotique pour leurs patients ».

Réunir les réseaux d'urgence coronaire pour décider de la conduite à tenir
Pour le Dr Goldstein, l'essai est suffisamment positif pour ouvrir le débat, mais ne répond pas à toutes les questions.
« Mon gros regret c'est que l'on ne peut pas conclure sur le bénéfice de la bivalirudine comparativement à l'enoxaparine, car trop de peu de patients ont été traités par l'enoxaparine », souligne-t-il, en remarquant que « quand EUROMAX a commencé, on n'avait pas les résultats d'ATOLL ».
« En outre, en dehors des hollandais, peu de centres utilisaient les anti-GpIIb/IIIa en pré-hospitalier or la question de la place des anti-GpIIb/IIIa se repose aussi : faudra-t-il les réintroduire ? Enfin, se pose également la question de l'avenir du cangrelor… ».
En attendant d'avoir plus de résultats, notamment grâce aux sous-études en cours, le Dr Goldstein estime en tous cas que les résultats d'EUROMAX sont suffisants pour se poser la question de l'importation de la bivalirudine dans le contexte de l'urgence instantanée.
« Il faut savoir qu'environ 20% des équipes Smur l'utilisent depuis longtemps, en accord avec les cardiologues. La bivalirudine est un vieux médicament. Mais maintenant il faut réunir les réseaux régionaux d'urgence coronaire pour analyser ensemble les résultats d'EUROMAX et voir si, tous ensemble, on modifie nos pratiques cliniques », conclut-il.
 
L'étude EUROMAX a reçu des financements de The Medicines Company.
Le Pr Gabriel Steg a reçu des honoraires du sponsor, the Medicines Company, au cours de cette étude et, dans les 36 derniers mois, des honoraires des sociétés suivantes hors de ce cadre : Amarin, AstraZeneca, Bayer, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Daiichi-Sankyo, GlaxoSmithKline, Lilly, Merck Sharp & Dohme, Novartis, Otsuka, Pfizer, Roche, The Medicines Company, Sanofi, Servier, Vivus.
Le Pr Patrick Goldstein a reçu des honoraires des sociétés suivantes au cours des 36 derniers mois : The Medicines Company, dans le cadre de cet essai et d'AstraZeneca, Eli Lilly, Boehringer Ingelheim, Daiichi-Sankyo, Sanofi, Bayer hors de ce cadre.

Source : www.theheart.org

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